Au rayon de la musique pop encore vendable et surtout fort appréciable, il y a le label français Tricatel, et à la tête de Tricatel, il y a Bertrand Burgalat. Quarantenaire passionné et modeste, originaire de Bastia et ayant grandi à la montagne, un brin pessimiste et sarcastique, mais surtout d'une extrême gentillesse, Bertrand Burgalat a bien voulu accorder à Zhou un entretien dans son troquet favori du XVIIème arrondissement où des photos d'Elvis et de Marilyn décorent des murs jaunâtres et où la porte des toilettes ne doit pas excéder un mètre quarante de hauteur. Enjoy...
Zhou: Quand as-tu su que tu travaillerais dans la musique?
Bertrand Burgalat: J'ai d'abord su que je voulais travailler dans la musique.
Mais à l'époque, ce n'était pas vraiment gagné, je suis né en 1963, et j'ai grandi à une époque où la musique paraissait assez inaccessible, très peu de gens faisaient des disques. Mes parents étaient assez vieux, et peu compréhensifs à ce niveau-là.
Avant, se lancer dans la musique, c'était affronter sa famille, comme dire "papa, maman, je pars dans une troupe de cirque itinérante" , alors que maintenant, la plupart des parents sont plutôt encourageants. Et pourtant ma mère avait été chanteuse classique, mais elle a tout arrêté quand elle s'est mariée. Vers la fin des années 70, j'ai joué dans quelques groupes, mais rien de très concluent. Il m'a fallu un peu de temps pour prendre confiance en moi.
Z: Ton ambition était-elle d'avoir un label?
B.B: Non, je voulais d'abord faire de la musique, et si j'avais trouvé des gens pour produire mes disques, je ne me serais jamais emmerdé à faire tout ça, je n'avais aucune connaissance de gestion pour pouvoir créer une entreprise, et d'ailleurs je n'en ai pas beaucoup plus aujourd'hui.
Quand je reçois des groupes qui me disent "on a des offres chez un plus gros label", je réponds de suite "eh bien foncez", s'ils peuvent prendre plus de pognon au sein d'une autre boîte, tant mieux. Moi je ne fais pas le poids pour la concurrence. Bien sûr, il y a un côté très attirant dans un label vu de l'extérieur, mais pas quand tu dois te coltiner les magasins etc...
Mais encore une fois, c'est différent d'avant. Aujourd'hui, les institutions veulent du rock, et ce sont les Fnac, les radios, donc tous ceux auprès desquels il faut démarcher qui font du mal au rock. Ces dernières années, ils ont fait beaucoup de dégâts en voulant refourguer aux gens des trucs absolument inintéréssants comme la trip-hop...
Avant, dans les années 70, il y avait de vrais passionnés, des gens comme Yves Adrien, et puis après, plus rien. Mais aujourd'hui, les choses changent, du moins j'en ai l'impression.
Je pense qu'il y a un pont entre ces gens-là et ceux de votre génération (entre 17 et 25 ans aujourd'hui ndlr) qui font de la musique, qui écrivent, qui refont des choses spontanées, et je trouve cela très bien, très important pour la culture.
Z: Peux-tu nous raconter l'histoire de Tricatel?
B.B: Bien sûr. Au début, quand j'étais en Angleterre, je faisais des disques en free-lance, et je ne pensais pas à faire une maison de disques, mais pour le fun, j'avais choisi un nom: "Tricatel".
Et puis en France, on m'a dit qu'il fallait que je monte une société pour pouvoir facturer les disques. En 1998, on a commencé à les presser nous-mêmes, ainsi qu'à les distribuer, et là, j'ai vraiment été dans la merde parce que Thomas, qui travaillait avec moi, payait tout le monde sauf les URSAFF, alors bien sûr j'ai eu les huissiers sur le dos. Finalement il y a quatre ans, un mec qui était homme d'affaires et qui avait travaillé avec Ardisson et Beigbeder m'a rejoint et a remis tous les comptes en état normal. Il a aidé Tricatel à se stabiliser, mais il y a deux ans, il s'est suicidé. C'est à partir de là que j'ai travaillé avec Cyril Vessier, qui vient de chez Virgin. Aujourd'hui, on tient à rester un petit label, car il n'y a rien de pire que d'être de la taille intermédiaire, parce que tu as des contraintes commerciales, mais en plus tu n'es pas certain de pouvoir cartonner. Tricatel ne doit d'argent à personne et reste en autarcie. Je vais d'ailleurs installer un studio d'enregistrement dans les Pyrénées, où j'avais de la famille.
Z: Comment es-tu séduit par un groupe ou un artiste?
B.B: D'abord, bien sûr, comme premier critère, il y a la musique, mais ce n'est pas défini: il faut que je sois surpris, et c'est parfois un problème car le public est terrorisé par l'absence de références, il a besoin de comparer. Moi, c'est l'inverse. Ensuite, il y a les qualités humaines, je ne pourrais pas travailler avec des gens impossibles à gérer, aussi talentueux soient-ils. Ensuite, comme je vous l'ai dit, je ne rentre pas en compétition avec des plus grosses boîtes. Nous, on est là pour faire écouter des artistes qui normalement ne sortiraient pas. Il y a d'ailleurs deux démarches pour signer un groupe, soit tu te dis: "ça va marcher, ça va se vendre, je signe", et ce n'est pas la mienne mais je respecte, soit tu dis: "j'aime, il faut que ça sorte", et ça, c'est ma démarche.
Z: Parles-nous de ton duo avec Robert Wyatt sur ton dernier album Chéri BB .... B.B: Je l'ai rencontré en 2005 grâce à Marie Audigier qui travaillait chez Naive à l'époque. On a sympathisé, et sa femme a écrit des textes pour le disque que j'étais en train de préparer, et Robert Wyatt me les chantait au téléphone, et je trouvais ça bête qu'il ne chante qu'au téléphone, alors je lui ai proposé qu'on enregistre une chanson ensemble.
Z: Quel résultat veux-tu quand tu sors un album? Tes ambitions et envies évoluent-elles au fur et à mesure que tu fais des disques?
B.B: Commercialement, je mets toujours la barre très bas, mais je vends toujours moins de disques que ce que j'avais espéré, alors je n'ose même plus faire de pronostics, je suis certain que si je disais "allez, j'en vends vingt", je n'en vendrais que dix.
Pour le dernier, Chéri BB, où j'ai eu une démarche qui disait vraiment "allez vous faire foutre" aux Fnac et compagnie, vu que j'ai choisi de le distribuer moi-même, j'ai obtenu de bonnes critiques, et pour une fois fondées et bien écrites, parce qu'en général, les types écrivent vraiment des torchons. J'ai donc ressenti un immense plaisir car je me suis senti compris. Je suis grande gueule, et je sais que mes disques peuvent déconcerter. Quand tu sors un album, tu veux que les gens aient un vrai avis, qu'ils sachent le défendre correctement, bon ou mauvais. Moi, je respecte un type comme Philippe Manoeuvre qui peut aimer des trucs complètement abbérants mais qui les défendra toujours avec conviction et spontanéité. Parce que souvent, les critiques ne prennent pas le temps d'écouter, alors ils écrivent ce qui "fait bien". C'est comme ça que beaucoup se retrouvent à cracher sur les jeunes groupes parisiens parce qu'ils sont soi-disant snobs, bourgeois, alors que les vrais bobos, ce sont eux, les critiques, qui ont été assez cons pour se faire refourguer du Carla Bruni il y a quelques années. Mais ces groupes, bons ou mauvais, ont le mérite d'exister, et ils subissent les mêmes attaques que Tricatel au début.
Quand tu sors un disque et qu'il ne se vend pas assez, ce n'est pas très grave, mais la moindre des choses, c'est que les critiques soient fondées, et justes. Sinon, il y a évidemment une évolution de mes envies que je suis libre de suivre à travers mes choix. Quand tu cartonnes, tu dois continuer à faire pareil pour toujours avoir du succès, alors que moi, je suis plus libre, et demain, je peux faire un album de chant folklorique irlandais si j'en ai envie. Mais je garde tout de même des contraintes, car je suis le capitaine du bateau, et la démarche extrêmiste que j'ai adoptéé pour mon dernier disque, je ne l'aurais jamais eu avec un autre groupe du label.
Z: Tu n'as pas ce complexe très français de mettre une cloison entre pop music et rock and roll, cela vient-il de tes influences?
B.B: Ce qui me plaît en musique, c'est vraiment très vaste, ça va du classique au rock and roll.
Et chez Tricatel, il n'y a pas de style précis, contrairement aux autres labels indépendants.
C'est volontaire, car très tôt, j'ai voulu me placer en opposition à ce que j'appelle le rock bourrin en France, avec tous ces mecs qui croient que le rock en France est né avec les alternatifs, tous ces trucs puants comme les Bérus. C'est comme ça qu'aujourd'hui on se retrouve avec des groupes de ska festif, ou des mecs qu'on ose appeler "punks" parce qu'ils boivent de la bière assis sur des marches. Ils ont enlevé au rock tout ce qu'il avait de beau. Donc j'ai voulu faire un truc nouveau, à ma façon. Il faut savoir aussi qu'aujourd'hui tout est fait dans le pompage du passé, mais pour se déculpabiliser de ce phénomène, ils te disent tous "c'est moderne", les Lagerfeld et compagnie, ils ne savent pas ce que cela veut dire mais ils n'ont que ce mot à la bouche.
Il faut assumer ce que tu aimes, même si c'est vieux et démodé, l'assimiler, et puis tu pourras faire quelque chose de neuf. Je n'ai jamais écouté un disque et dit "il faut que je fasse un truc qui sonne pareil".
Quant à la pop actuelle, de temps en temps, il y a des trucs carrément géniaux, comme Toxic de Britney Spears: une chanson parfaite.
Z: Il y a une malédiction du rock en France pour toi?
B.B: Oui, ou du moins une fatalité qui fait que tous les artistes intéréssants y ont toujours été incompris, et ce depuis Vince Taylor. La période post-punk a vu naître des groupes géniaux comme Taxi Girl ou Mathématiques Modernes, mais c'est Indochine qui a gagné.
La dernière fois, il y avait ce débat chez Taddéi, où Jean Rouzaud, qui est un mec génial, défendait les groupes new wave, et ce type, mauvais, Christophe Bourseiller, qui n'a rien vécu et qui ne fait que de la récupération, lui a maintenu que tout ça n'avait aucune valeur, il rapportait tout au Palace en disant que ces mecs étaient des fils à papa parisiannistes. S'il avait été là, il saurait qu'en réalité, même si ces groupes portaient des costumes, ils galéraient. Et dans les années 70, la France n'a jamais été ridicule, il y avait des gens très instruits comme Pacadis, Adrien, qui écrivaient sur le punk en 73 et qui étaient déjà passés à Kraftwerk en 77 alors que l'Angleterre en était au Sex Pistols, montés par le plus gros pompeur de la Terre, Malcolm McLaren.
Enfin, à chaque fois qu'il y a un nouveau souffle en France, les insultes fusent, tout tombe dans l'underground, et ça laisse la place aux plus mauvais. Cela n'est pas prêt de changer.
Interview dans son contexte originel dans Zhou n°2, disponible.
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Zhou iz bak
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