mardi 1 décembre 2009

Julian Casablancas - Phrazes for the young

La pierre philosophale d'un ancien Strokes
Par Louie Louis


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Honteusement pour certains, heureusement pour d'autres, j'ai dès le début préféré les Libertines aux Strokes, car, nous ne le dirons jamais assez, ils avaient le pouvoir de toucher un kid droit au coeur. La production "racée" de l'aristocratie rock new yorkaise que représentaient les Strokes, ne m'intéressaient à vrai dire pas du tout, et c'est encore le cas aujourd'hui. Mais gageons au moins qu'être passé à côté des Strokes permet d'apprécier l'album solo de Julian Casablancas, qui n'est certes pas et ne sera jamais un excellent disque, puisque précisément il faut une condition pour l'aimer, à savoir ne pas avoir écouter les Strokes. Néanmoins, il s'agit d'un bon album, dansant , bien produit, beau; mais qu'est-il en profondeur?

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Phrazes for the young est le disque d'un mec qui aimerait absolument retourner en arrière et ne jamais avoir eu trente ans, le disque d'un new yorkais en Converse qui boit aujourd'hui des cocktails à Los Angeles bien chaussé dans ses bottes, le disque qui joue pour son auteur le rôle du portrait pour Dorian Gray: un objet qui l'immortalise dans ce qu'il n'est plus, qui le cristallise dans la peau d'un esthète visionnaire et jeune, alors qu'il n'est qu'un ancien alcoolique père de famille.
La pochette est splendide, les chansons en mettent plein la tête, mais la vérité est ailleurs, bien moins belle.
Phrazes for the young, en ce sens, suggère le faux parfait, la charogne décadente du vingt-et-unième siècle, c'est Casablancas en Des Esseintes pop qui nous envoie ce message: "regardez-moi immobile avec mon chien et ma guitare, car en mouvement, je ne vaux plus rien, je ne suis plus un exemple, non, plus que ça, je suis une légende." Une légende de la musique pop des années 2000 qui peut aujourd'hui se permettre de jouer avec des synthétiseurs sur la côte-ouest américaine, voilà ce à quoi Casablancas peut prétendre, au mieux, une fois que l'on a percé la façade de l'album à la mode et esthétiquement irréprochable.
Evasif en interview sur la question de son ancien groupe, et évasif sur tout le reste d'ailleurs, Casablancas semble avoir mis jusqu'à son dernier souffle de créativité dans Phrazes for the young et ses huit tubes potentiels, comme s'il ne lui restait plus longtemps à vivre.


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Quand les Strokes enregistrait Is this it, Julian Casablancas avait dit ceci à son ingénieur du son : "Il faut que ça sonne vieux, mais comme du vieux de 2010", phrase qui relève d'un charisme évident, et aujourd'hui remplacée par "il faut que ça sonne intemporel, mais comme de l'intemporel de 2009 que l'on n'écoutera plus en 2010"; voilà tout ce que j'ai trouvé pour vous dire que Phrazes for the young ne semble pas abouti, suggérant un peu trop la bouée de sauvetage d'un plus-très-jeune homme aux yeux cernés qui laisse traîner ses fins de phrases quand il chante pour pouvoir être exceptionnel; il ne sera donc qu'attendrissant. En somme, ce disque est une illusion, paré d'artifices synthétiques, mais tout comme la tortue du héros de Huysmans dont la carapace est incrustée de diamants reste un animal lourd, rampant et surtout mortel, Phrazes for the young reste un album bêtement actuel, plaisant jusqu'au mois prochain, quand tout ce qu'il a d' émouvant et de beau surprenant nous aura lassé et que l'on écoutera le nouveau Vampire Weekend.


Outre la métaphore post dix-neuvièmiste, très appropriée au demeurant, disons que Casablancas en a déçu plus d'un, à savoir les puristes des Strokes, trouvant son disque trop calibré fm, trop dans le moule du vingtième retour des synthétiseurs en cinq ans... Cela dit, souvenez-vous, les Strokes ne surfaient-ils pas sur une vague clairement à la mode dans le monde entier? Ou alors leur manager en était-il le précurseur, mais la frontière est mince.
Julian Casablancas sait écrire des chansons, et semble avoir le flair pour s'entourer de ceux qui les pareront de bon goût, mais a-t-il été un jour authentique? ...
Alors sachons apprécier Phrazes for the young comme l'oeuvre éphémère et pleine de bon sens qu'elle est, sans se soucier de demain, ou de l'envers du décor. Dansons ce soir, nous verrons plus tard pour le reste.


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