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Je pense qu’il faudrait plutôt vous parler de la peur. Car voyez-vous, c’est uniquement de cela dont il s’agit. Hunter Thompson ne nous a pas livré ici ce que nous attendions tous la bave aux lèvres : son autobiographie complétée, chronologique, chroniquant avec précision toutes ses bizarreries et ses faits d’armes les plus hallucinants. Non. Il s’agit d’un testament, de la mise au clair du reste de son oeuvre. Un testament en forme de pierre de Champollion, permettant de comprendre quelle force souterraine l’a poussé à écrire toute son œuvre. Voilà la vérité : Hunter Thompson était guidé par la peur. Ou plutôt c’est lui qui la guidait, l’injectait dans sa vie de manière quasi inconsciente. Sa nature profonde d’outlaw lui faisait vivre des situations à hauts risques de par la menace quasi constante d'aller en prison, mais aussi des menaces de mort venant de toute part de l'Amérique. Car tout comme Robin des Bois, il violait les lois s’interposant à sa propre morale. Il est l’explication vivante de cette phrase de Dylan « Pour être honnête, il faut être hors la loi ». Voilà comment cette petite vérité devrait mettre vos neurones à feu doux lors de vos prochains cours de philosophie sur la loi des hommes et la morale. C’est le moment précis où l’homme se retrouve confronté à devoir choisir entre les règles de société et sa liberté individuelle.
C’est ce qu’il m'arrive à chaque fois que je vais chez le médecin. Quand celui-ci exige 40€ remboursables uniquement à 50%, m’enlevant par le même tour de main une partie non négligeable de mon maigre pécule de vie. Encore même du pue me sortirait du prépuce que ce singe nazi serait obligé de me soigner gratuitement dû à son serment d’Hippocrate. Alors, pourquoi me forcer à payer une telle somme ?
Cela arrivera encore, quand contraint par la faim, il nous faudra frauder les transports en commun sans lesquels la vie est aujourd’hui impossible. Et me voilà passé en jugement, comme le dernier des chauffards, condamné à payer une somme colossale pour un service qui m’était vital.
Ces petits exemples de tous les jours se rapprochent de l’impulsion fondatrice du gonzo journalisme. Quand arpentant les couloirs du métro, vos sens sont à l’affût de tout mouvement suspect, que votre cœur tressaute à la vue de la chemise verte du contrôleur, qu’il vous faudrait vite repérer leur guetteur. Le choix se fera entre la fuite où la tentation d’embrouiller l’ennemi devant vous. Peut-être ferez-vous une pause en refaisant vos lacets alors que vous portez des boots et qu’un vieux ticket de métro trouvé sur le sol sauvera la mise. Il s’agit là d’un détail, d’une saynette ; mais c’est toute une problématique de vie qui s’y cache.
La peur est un sentiment très peu utilisé dans la démarche créatrice. Elle sert aux arts de genre. On cultive la peur pour la relancer sur d'autres. Mais qu'arrive-t-il quand cette peur fait rire l'autre. Quand elle provoque des situations impossibles, un état d’âme improbable? Quand l'esprit est réduit à celui d’une bête sauvage prête à tout pour s'en sortir. C'est exactement cela le ressort comique de l'écriture de Thompson: c'est le voir se foutre dans de beaux draps pour s'en sortir de manière magistrale emmenant au passage toute une partie des idées préconçues, rentrant dans une réflexion profonde sur les possibilités d'une société libertaire où l'homme ne serait que face à ses choix et n'aurait pas à les justifier devant les autres. C'est cela le gonzo journalisme, c'est mettre à la face du monde la vérité nue, la possibilité d'un soi libre, le démantèlement du mécanisme de notre action sur nos semblables.
Souvent, les auteurs et journalistes qui écrivent avec le style gonzo le font intuitivement. Ils découvrent l'oeuvre de Thompson, Bangs, Richard Meltzer bien après avoir commencé l'écriture. L'écriture gonzo est une intuition, une manière de concevoir les règles et surtout de les refuser. C'est la négation du journaliste, le refus du romanesque. C'est un acte nihiliste renvoyant au fond des cordes la pensée unique et la bienséance. Parler de soi, de manière complète et honnête, cela demande d'être bien plus humble que l'on ne le puisse penser.
Car les non humbles tomberont dans l'auto fame, la masturbation écrite. Ecrire avec tout le sérieux que cela exige, c'est tout de même élever sa vie à un statut d'oeuvre d'art. Et je crois que cela, Thompson y est bien arrivé. Maître de sa vie jusqu'au bout, jusqu’à ce qu'il tire la balle finale au travers de son cerveau, tirant un trait sur sa personne. Deux ans après avoir écrit cela : Kingdom Of Fear.
Hunter.S.Thompson//Kingdom Of Fear : Loathsome Secrets of a Star-crossed Child in the Final Days of the American Century//Penguin Book//2003
Version Originale jamais traduite en Français.
Article dans son contexte original paru dans Zhou n°3, disponible.
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