Par Louie Louis.
Je vous parle de mon premier rapport avec la musique électronique. Ou l'un des premiers, certes...
Quand j'ai entendu E.V.A pour la première fois, je me suis dit que c'était mieux que la Messe pour les temps présents qui est d'ailleurs plus un disque représentatif du talent de Michel Colombier que de celui de Pierre Henry, mais passons.
Jean-Jacques Perrey est une sorte de mythe du monde de la musique: un personnage atypique et futuriste, qui, à quatre-vingt ans vous transmet encore une incroyable énergie positive et
créatrice, ne fut-ce que par courrier électronique, tout comme il réussissait déjà à le faire à travers ses disques des années soixante, époustouflants d'intemporalité et d'incandescence joyeuse inépuisable.
Ses interventions médiatiques sont plutôt rares, mais beaucoup de gens ont l'homme en tête pour ses mélodies jouées au moog et son utilisation de l'Ondioline, un instrument dont il fut l'ambassadeur dès 1960.
Il incarne à n'en pas douter l'idée d'un futurisme sincère qu'aucun artiste ne peut aujourd'hui atteindre, et au même titre que les Beatles (toujours eux), la joie en musique, et pour cela, il fallait qu' hommage lui soit rendu par Zhou.
J'ai contacté Jean-Jacques Perrey par un des moyens les plus propices à la non-réponse qui existent, à savoir Myspace, et contre toute attente, ce ne fut pas en vain, l'homme m'a répondu vite et... bien !
A ce jour, cet intarissable artiste habite en Suisse, c'est donc par e-mail que l'interview s'est déroulé, et vous verrez, en lisant celui-ci, que Jean-Jacques Perrey n'a pas perdu de sa certaine naïveté qui caractérise des disques, qu'en bon être humain qui a traversé seconde guerre mondiale ET guerre froide, il rêve de paix et d'amour, un homme de son temps en somme, mais ô combien sincère...
Perrey et Dana Countryman, avec qui il a réalisé son dernier disque: Destination Space
Z: Nous allons commencer par retracer un peu votre parcours...
Vous débutez la musique avec l'accordéon? Comment en venez-vous à l'Ondioline? Quelles portes cet instrument vous a-t-il ouvertes?
J.J: J'ai commencé à jouer de l'accordéon dès l'âge de quatre ans ... Même très jeune , j'ai été très attiré par la musique ! Dans les années 50 , pendant mes études à la Fac de Médecine , j'ai rencontré Georges Jenny , l'inventeur de l'Ondioline , un instrument qui a été le premier synthétiseur français de l'époque . Cet instrument et son inventeur m'ont ouvert les portes d'une fructueuse carrière de musicien et de compositeur .
Z: Vous avez tourné avec Edith Piaf... Quel souvenir en gardez-vous?
J.J: Un souvenir très émouvant et inoubliable . C'est Jean Cocteau qui me l'avait présentée ; j'avais rencontré cette immense artiste dans un cabaret-club , à Megève ou je présentais en attraction mon numéro musical avec l'Ondioline , intitulé Around the world in 80 ways. Par la suite , Edith m'a recommandé à Carroll Bratman , un producteur américain de New-York , lequel est devenu mon sponsor aux Etats-Unis . Je serai éternellement reconnaissant à Edith Piaf et à Jean Cocteau d'avoir été les artisans de ma réussite dans la carrière musicale internationale .
Jean-Jacques Perrey dans les années 60.
Z: Qu'est-ce qui vous a poussé à l'expérimentation électronique dans les années 60?
J.J: Dans les années 50 , j'étais déjà un fan de la " musique électronique "... A cette époque , j'étais très intéressé par les recherches scientifiques d'un hollandais dont le nom était Tom Dissevelt ; il avait enregistré sa musique en utilisant plusieurs magnétophones qui tournaient ensemble , en direct , et dont le son était programmé par ordinateur... Oui, déjà !
Puis , j'ai découvert le fabuleux guitariste américain Les Paul qui avait , le premier , expérimenté ce que l'on a appelé au début le " Re-Recording " !
J'étais aussi un fan de Spike Jones , cet extraordinaire humoriste américain qui dirigeait un orchestre loufoque en utilisant des bruits bizarres et inattendus !
Ces grands musiciens ne sont plus très connus aujourd'hui , sauf par leurs anciens admirateurs.
Mais ces trois personnes , en particulier , m'ont extrêmement influencé dans le style de musique que j'avais choisi , et que j'allais enregistrer par la suite ...
Z: Au début des années 60, vous faisiez dans les jingles, dans l'illustration musicale, ce format était-il propice à votre créativité? Ou la limitait-elle?
J.J: Oui , l'élaboration de jingles , l'illustration musicale , la musique pour l'image etc ont été des éléments qui m'ont beaucoup aidé dans la recherche de mon style de musique favori , car ces expériences étaient d'excellents exercices de style, si l'on peut appeler ça comme ça !
Z: Parlez-nous de vos collaborations avec Harry Breuer et Gershon Kingsley...
J.J: Gershon Kingsley et moi avons élaboré nos deux premiers Vinyles chez Vanguard , un label qui a largement contribué à nous faire connaître.
Harry Breuer a été l'un de mes plus fidèles collaborateurs , au cours des dix ans pendant lesquels je suis resté aux Etats-Unis , dans le studio que Carroll Bratman m'avait aménagé dans son immeuble , au 209 West 48th Street à New-York .
Z: Dans les années 60, vous utilisiez des outils et méthodes révolutionnaires comme les claviers analogiques et le sample... Comment le public recevait cela à l'époque?
J.J: Le public ne cherchait pas tellement à comprendre le côté technique , ni les noms des instruments , ni le matériel secondaire utilisé au cours de l'enregistrement de la musique ...
En effet : à cette époque , le public ne se préoccupait pas de la façon dont la musique avait été élaborée ... Il aimait , ou il n'aimait pas ; ou alors , il demeurait indifférent à ce genre de musique, ce qui était bien pratique et rendait superflu tout commentaire !
Z: Comment avez-vous reçu la musique pop à cette époque? Aviez-vous des groupes préférés?
J.J: Bien sûr , j'étais un fan des Beatles ... Puis , plus tard , des Beastie Boys ... puis de beaucoup d'autres encore , des groupes plein de talent qui ont fait évoluer la musique Pop . C'est un véritable mouvement perpétuel !
Aujourd'hui, vous êtes une sorte de mythe, un pionnier de la musique électronique etc, mais quel succés avez-vous eu à l'époque?
J.J: Comme pour tous les jeunes compositeurs de l'époque , ce fût un succès discutable et très limité au début ...
Mais la télévision américaine , Harry Breuer , Carroll ratman , et aussi mon ami Angelo Badalamenti m'ont beaucoup aidé ...
J'ai voulu persévérer , je me suis "accroché" et , bien entendu , je ne le regrette pas !
Z: En 1972, un de vos titres est utilisé pour la parade de Disneyland, et aujourd'hui encore vous êtes lié à ce grand parc d'attraction... Pouvez-vous nous expliquer quelles sont vos activités en son sein?
J.J: Je viens d'atteindre "un âge canonique" qui me permet maintenant de me reposer un peu .
Pour le moment , je n'ai plus d'activité créatrice chez Disneyland ...
Mais je suis toujours en contact avec Don Dorsey , le Directeur Musical de Disneyland-Californie ainsi qu' avec Vasile Sirli , le Directeur Musical de Disneyland-Paris . Nous sommes tous trois devenus des amis très proches .
Z: Aujourd'hui, quand vous voyez que le sampling est une pratique démocratisée, que cela vous inspire-t-il? Pensiez-vous avoir une démarche futuriste à l'époque?
J.J: Oui , car à ce moment là , j'ai réalisé que cette technique allait progressivement révolutionner le monde musical et ouvrir la porte à une musique beaucoup plus riche , plus élaborée , plus futuriste ...
C'était à prévoir , et les spécialistes l'avait pressenti ! Ils ne s'étaient pas trompés !
Z: Plus largement, que pensez-vous de la musique électronique aujourd'hui, et même du hip hop?
J.J: Cette évolution était inévitable ; la musique actuelle est tout simplement la résultante logique de cette technique !
Le Hip-Hop est un style qui est apparu à la fin des années 60 . Ce style est issu du Rythm & Blues.
Z: A ce propos, vous avez collaboré avec une figure actuelle de la musique électronique, Luke Vibert... Racontez-nous cette rencontre... Cet homme est un dénicheur de perles, ses compils sont très riches, il a le profil parfait pour être un adorateur de Jean-Jacques Perrey...
J.J: J'ai rencontré Luke Vibert à Londres ; nous participions ensemble à un spectacle avec d'autres artistes spécialisés dans la musique dite électronique .
Nous avions les mêmes concepts et les mêmes idées en ce qui concerne l'avenir de ce genre de musique. Nous avons immédiatement sympathisé .
Luke est un fabuleux Musicien et un grand Artiste . C'est aussi un être très attachant , nous éprouvons l'un pour l'autre un respect certain et une amitié sincère et réciproque . De ce fait , nous avons décidé , d'un commun accord , de réaliser un album ensemble (Moog Acid, ndlr).
Z: Vous êtes un symbole de l'expression de la joie en musique, et vous avez une image de "gentil monsieur", souriant, très amical... Avez-vous travaillé cette image? D'où vient-elle?
J.J: Je n'ai pas cultivé cette image , cela a toujours été un "état naturel" chez moi .
Je pense qu'à l'époque actuelle , il est nécessaire de combattre la sinistrose , ce mal du siècle !
L'humour est devenu une arme indispensable pour vaincre cette sinistrose ... De plus en plus , nous vivons dans un climat extrêmement difficile , la peur d'un conflit armé , la crainte de la violence d'autrui , le péril atomique , la pollution de la planète , les pandémies ... etc !
Regardez par exemple , dans les transports publics et même dans la rue , les yeux qui vous fixent, craignant une agression des autres.
Les sourires ont pratiquement disparu des visages , les lèvres sont ainsi devenues inexpressives !
Les habitants d'un petit immeuble ne se connaissent même pas entre eux ...
Oui , la sinistrose est la véritable maladie du siècle ...
Il serait grand temps de réagir contre ce comportement , qu'il soit craintif ou agressif ! C'est pratiquement devenu un reflexe d'auto-défense !
On ne pourra sortir de cette situation inextricable qu'avec un sourire , ou un geste pacifique et amical !
Et , d'ailleurs , pourquoi pas : grâce à la musique ? A une chanson ?
Si tous les gens du monde voulaient bien chanter ensemble...
Et la musique est un moyen très efficace pour rassurer tous ceux qui ont peur de l'avenir !
Z: En règle générale, vous êtes très porté sur le bien-être, le bonheur... Dans les années 70 , vous étudiez la musicothérapie. Dites nous en plus sur cette discipline? Dans quel cadre vous a-t-elle intéressé? La musique doit-elle apporter le bien selon vous?
J.J: Le "bien" est souvent généré par l'art , et essentiellement par l'art musical !
J'ai effectivement fait des recherches dans le domaine de la musicothérapie , et effectué des expériences qui , d'ailleurs , ont été très concluantes...
Mais de nos jours , il n'y a que les drogues pharmaceutiques qui sont utilisées dans ce domaine !
Peut-être parce que cela rapporte plus d'argent ?
Z:Si vous deviez dire en quelques mots ce que vous pensez du XXIème siècle...
J.J: Je vous le dirai dans 100 ans ... Rendez-vous ici-même fin 2099 , si vous le voulez bien !
Z: Qu'auriez-vous fait si vous n'aviez pas été musicien?
J.J: J'aurais pu être médecin , spécialisé dans la psychothérapie , si toutefois le petit démon de la musique n'était pas venu me hanter !
Mais il ne faut jamais rien regretter ...
Z: Avez-vous des projets que vous pourriez nous faire partager à ce jour?
J.J: Oui , j'ai encore des tas de projets à réaliser ... Mais je ne sais pas encore par lequel commencer ...
Z: Maintenant, il me semble intéressant de vous faire répondre au questionnaire de Proust, je trouve cela assez amusant...
Quel est le principal trait de votre caractère?
J.J: Si je puis me le permettre , je crois que c'est un discret sens de l'humour ...
Z: Que préférez-vous chez une femme et/ou chez un homme?
J.J: Chez une femme , sa féminité . Chez un homme , son respect pour la femme .
Pour l'une , et l'autre , la bonté d'âme et la volonté de protéger nos compagnons animaux ...
Z: Qu'appréciez-vous le plus chez vos amis?
J.J: La fidélité en amitié .
Z: Quelle est votre occupation préférée?
J.J: Visionner des DVD's de science-fiction at home ...
Z: Quel est votre idée du bonheur?
J.J: Pouvoir vivre dans une société humaine heureuse , avec des compagnons-animaux heureux , autant que faire se peut ...
Z: Ou souhaiteriez-vous vivre?
J.J: En Suisse , là où je vis en ce moment ...
Z: Quelle est votre couleur préférée?
J.J: Bleu.
Z: Quels sont vos auteurs favoris?
J.J: Molière , Sacha Guitry , Ray Bradbury , etc ...
Pardonnez-moi , ils sont tellement nombreux que je ne puis les citer tous !
Z: Quel(les) sont vos héros/héroïnes dans la fiction?
J.J: Les Personnages de Walt Disney ...
Z: Et dans la réalité?
J.J: Walt Disney et ses Personnages ...
Z: Que détestez-vous par-dessus tout?
J.J: La violence, la cruauté, la méchanceté et tous ceux qui osent maltraiter les animaux.
Z: Y a-t-il un personnage historique que vous méprisez particulièrement?
J.J: Oui , les dictateurs ...
C'est la raison pour laquelle je n'utilise pas de majuscules pour écrire leurs nom !
Z: Quel don voudriez-vous avoir?
J.J: Le don d'ubiquité !
Z: Comment aimeriez-vous mourir?
J.J: Sans m'en rendre compte ...
Z: L' état présent de votre esprit?
J.J: Un tantinet "anarchique" !
Z: Quelle est votre devise préférée ?
J.J: Le dollar ...
Non , bien sûr , je plaisante ! Ce serait plutôt :
Priorisons l'humour !
Car les gens qui n'ont pas d'humour ne sont pas des gens vraiment serieux !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire