Par Louie Louis
Aujourd'hui, je suis allé voir Hotel Woodstock, et j'ai compris. En fait, j'ai résolu et classé des questions que je ne m'étais jamais vraiment posé. J'ai compris pourquoi la perte de contrôle de soi était à la mode chez les jeunes, pourquoi des centaines de beaufs s'agglutinent dans des "skins party" et pourquoi la débauche est devenue un establishment. J'ai compris pourquoi un petit cinéma d'art et essai de province qui fait généralement preuve de bon goût et de préciosité peut se retrouver pris au piège par le grand règne du cool et ainsi projeter un film comme Hotel Woodstock.
Can you pass the acid test?
C'est qu'on a le temps de réfléchir pendant que le personnage principal, un jeune juif gay doué en affaires et mauvais en relations, prend son premier trip de LSD: tout y passe: couleurs et formes modifiées, relations sexuelles à plus de deux, au cours d'une scène qui paraît plus longue encore que le film The Doors d'Oliver Stone tout entier. C'est durant cette courte éternité que j'ai compris voyez-vous. J'ai compris qu'avec les hippies, la sauce avait prise. Que nous aurions été plus chanceux s'il en avait été de même pour Kraftwerk. Non, je ne suis pas en train de dire que je n'ai pas écouté les disques du Jefferson Airplane; mais que d'une courte décennie riche en magie, le monde a retenu la fin d'une génération paumée dans ses cheveux longs et gras, et pire, a trouvé cela beau. Woodstock, ça sonne comme le paradis dans la conscience collective, tout en laissant chacun se croire subversif d'apprécier ce "festival". Rien que ce mot...festival... Festival de rock... Woodstock a donné ce que certains prennent pour un héritage, mais qui n'est en réalité qu'un fardeau qui porte plusieurs noms: Rock en Seine, Glastonburry etc... Rien qu'un tas de médiocrité (à cause du public hein, surtout, bien que la programmation laisse souvent à désirer). Enfin, les festivals, c'est cool, tout le monde en parle, c'est une énorme machine à fric, et ce, depuis Woodstock donc, ces trois jours de boue et de maoîsme à l'américaine. Le thème d'Hotel Woodstock, c'est l'organisation de ce festival historique vu à travers ce personnage timide mais entrepreneur dans l'âme très bien défini plus haut: Elliot Tiber (qui a vraiment existé et existe toujours, puisque c'est une histoire vraie) , fils d'immigrés juifs et propriétaires d'un motel dans la région de Woodstock donc, entre champs et marécages. Par une succession de hasards, il se retrouve à la tête de l'organisation du festival de l'été 69, un événement qui va le dépasser dès le début, avec un million cinq cent milles hippies qui l'adulent et un village entier de péquenauds judéophobes qui veulent sa mort et celle de ses parents pour avoir fait de leur paisible comté une zone officiellement sinistrée.
Si je suis tenté de blâmer ce film, c'est parce que c'est à cause de telles réalisations que le grand mensonge de la société du cool est entretenu: toute cette libération n'est que bullshit. Il n'y a jamais eu libération de la jeunesse, qu'on se le dise. Certains diktats en ont remplacé d'autres, voilà tout. Là où les caméras de Ang Lee veulent diffuser l'image d'une liberté totale, d'une beauté naissante , je ne vois que boue et perte de contrôle des individus, et rien de telle qu'une perte de contrôle collective pour manipuler à souhait. Voilà ce que fut Woodstock: une manipulation, la plus grande escroquerie du rock and roll, et ça Pete Townshend l'avait compris dès le premier accord de guitare qu'il avait sorti devant un million et demi de brûlés des yeux à cause du soleil et du LSD, d'hépatiteux joyeux, de branleurs révolutionnaires et d'hypocrites en tout genre. A première vue, Hotel Woodstock est encore une production qui installe les deux piliers de la dictature douce de l'entertainment confortablement dans les précieux jeunes cerveaux. Un coup dur de plus porté aux adolescents qui le verront et qui fantasmeront sur ce qu'ils y trouveront au premier degré. "Se lâcher", mot d'ordre d'une succession de générations pour qui le ridicule ne tue décidément pas.
Mais, comment détester réellement ce film, qui est aussi de l'initiative d'Elliot Tiber, qui n'a pas tant l'air que ça d'un idiot, quand on dénote la lucidité sous-jacente qui s'y cache. Pour défendre cet argument, deux exemples, aussi anecdotiques qu'efficaces: les allusions récurrentes à l'absence de Bob Dylan (qui habitait Woodstock à l'époque) qui était pourtant attendu, mais aussi fortement incompris. Dylan avait vu arrivé l'embrouille, l'hypocrisie qu'il y avait à se revendiquer contre la guerre en dansant nu sur un van coloré, la récupération du phénomène beatnik pour formater des dizaines de milliers de kids prêts à se gaver sans réfléchir de substances illicites pour qu'ils deviennent des hippies. Les beatniks, les mods, le swinging london, Andrew Oldham: tout ça, c'était l'espoir, le début, un souffle nouveau; mais les hippies, (qui n'étaient plus des hipsters ), c'était la fin et Robert Zimmerman le savait.
Le deuxième exemple, c'est l'allusion finale au festival d'Altamont, qui, comme chacun sait, fut un désastre, faite par ce mec qui avait bien trop les pieds sur terre pour être sincère: Micheal Lang. Ce personnage est le plus cool du film, le plus détendu, mais aussi le plus calculateur: une relation d'adjectifs tout à fait appropriée.
Micheal Lang (Jonathan Groff), le control freak aux airs de roi lézard & Elliot Tiber (Demetri Martin).
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La famille Tiber, chez le banquier (Henry Goodman, Demetri Martin & Imelda Staunton).
Au risque que ces messages (presques implicites) ne soient captés que par dix pour cent des gens qui iront voir le film, il nous reste une famille juive relativement attachante, une poignée de types à la sexualité incertaine et dépassés par tant d'agitation, ainsi que de très bonnes anecdotes comme cette gaffe faite par Elliot lors d'une conférence de presse, alors qu'il avait fumé son premier joint d'herbe : "toute la musique du festival sera gratuite" qui conduira le gouverneur à déclarer l'enceinte du festival zone sinistrée à cause d'une arrivée trop massive de jeunes gens (moins de dix mille personnes étaient initialement prévues, ce qui suffisait déjà a rendre riche la petite famille Tiber). Bref, ce petit personnage révolutionnaire malgré lui ne peut pas donner un mauvais film, tout comme il n'a pas pu rendre trois jours si vicieux que ça, mais l'éternel problème, c'est la récupération... Et Hotel Woodstock renvoie inévitablement cette regrettable image de récupération, comme un pathétique remake d'une histoire qui porte déjà son poids de laideur.
Heureusement, pour mettre tout le monde d'accord, il reste les Beatles, la solution parfaite des sixties; et c'est heureux que l'on en parle beaucoup en ce moment.
La famille Tiber, chez le banquier (Henry Goodman, Demetri Martin & Imelda Staunton).
Au risque que ces messages (presques implicites) ne soient captés que par dix pour cent des gens qui iront voir le film, il nous reste une famille juive relativement attachante, une poignée de types à la sexualité incertaine et dépassés par tant d'agitation, ainsi que de très bonnes anecdotes comme cette gaffe faite par Elliot lors d'une conférence de presse, alors qu'il avait fumé son premier joint d'herbe : "toute la musique du festival sera gratuite" qui conduira le gouverneur à déclarer l'enceinte du festival zone sinistrée à cause d'une arrivée trop massive de jeunes gens (moins de dix mille personnes étaient initialement prévues, ce qui suffisait déjà a rendre riche la petite famille Tiber). Bref, ce petit personnage révolutionnaire malgré lui ne peut pas donner un mauvais film, tout comme il n'a pas pu rendre trois jours si vicieux que ça, mais l'éternel problème, c'est la récupération... Et Hotel Woodstock renvoie inévitablement cette regrettable image de récupération, comme un pathétique remake d'une histoire qui porte déjà son poids de laideur.
Heureusement, pour mettre tout le monde d'accord, il reste les Beatles, la solution parfaite des sixties; et c'est heureux que l'on en parle beaucoup en ce moment.
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